Chez Julien
Il parait qu’un arbre pousse dans sa cuisine.
Tous les jours, depuis cinq ans, je passe devant chez lui. Et tous les jours, au même moment, je suis tentée d’aller voir si l’arbre existe vraiment. Alors un jour, je me suis décidée et je monte le petit chemin à travers ses champs. Son frère de passage ce jour là était méfiant, mais Julien a bien voulu me faire visiter son quotidien. C’est comme ça que je l’ai rencontré. Il s’appelle Julien. Il est paysan.
Depuis ce jour, je lui rends visite régulièrement. Julien parle peu, mais l’expression de son visage nous dit le reste. Chez Julien, il suffit d’observer.
Ses habitats en terre semble fondre aussi vite que le temps passe. Un temps qui, pour beaucoup, est déjà passé. Le temps de Julien, c’est celui des saisons qui passent, de la grange où logent ses vaches et ses chèvres qui, une fois rassemblées, m’évoquent l’image biblique de la nativité.
Julien n’est fidèle qu’à sa maison et à ses bêtes qu’il n’a jamais quittées, car de femme, il n’en a pas eu. Et pour cause, « elles n’ont jamais voulu vivre comme moi », m’a-t-il confié un jour. Sauf sa mère devenue aveugle qu’il a gardée à la maison jusqu’à son dernier souffle.
Un jour d’hiver, pour la première fois depuis un an, Julien m’ouvre enfin la porte de sa cuisine. Une foule de calendriers tapissent les murs et, dans la cheminée, une soupe chaude dans une vieille marmite attend d’être mangée mais l’arbre n’y est plus.
Chez Julien, comme chez les paysans que j’aimais visiter enfant dans le Finistère, rien n’est spectaculaire, nul objet n’est donné à voir. Une simplicité et une grande pudeur se dégagent de ces hommes à l’intérieur desquels « la terre coule dans leurs veines ». Une terre simple qui nourrit un homme simple qui semble s’effilocher et disparaitre au fur et à mesure que l’agriculture s’étend à perte de vue.
Chez Julien, Pauilhac, Gers
10 photographies couleurs contrecollées sur bois
60×40 cm
Edition of 6 + 2 EA